CABARET DIMEY : « Venez boire avec moi, on s’ennuiera plus tard ! »
Avec Patrick et Claire Chevalier, Laurence Legrix à l’accordéon chromatique
Il est des êtres comme ça, qui ont usé leur vie à force de la goûter à l’infini et qui nous quittent trop tôt… Bernard Dimey en faisait partie… Cet ogre magnifique, dévoreur de tous les plaisirs, écumeur des bars de Pigalle et de Montmartre, grand ami des filles du trottoir, mystique à ses heures, fut aussi un poète et un auteur de chansons remarquable, dont la postérité n’a hélas pas toujours su rendre compte. À peine sait-on qu’il est l’auteur de « Syracuse », chanson devenue culte par la voix de son ami, Henri Salvador. Lui faire honneur manquait à l’appel…
Patrick et Claire Chevalier, accompagnés de l’indispensable accordéon de Laurence Legrix, s’en chargent, de la plus jolie façon. L’hommage qu’ils lui rendent, le choix des poèmes et la musique complice qui ponctue leurs échanges, sont comme une invitation intime à entrer dans son univers, suivre son parcours, en toute simplicité.
Attablés tous deux dans un bistrot, dégustant un « ballon » de rouge, ils nous offrent certains de ses poèmes, en l’honneur de l’alcool mais aussi du Bon Dieu, comme si nous étions seuls avec eux : « Si seulement je pouvais convaincre Monseigneur ! Ces petites au fond doivent bien gagner leur pain ! Il vaut mieux que ce soit dans le giron de l’Eglise ! ».
Tantôt bouffeur de curés, tantôt amoureux du Paradis, il passa sa vie à osciller d’une rive à l’autre, à tenter de calmer le jeu ou de cesser de boire, rien n’y fit : il brûla sa chandelle par les deux bouts. Patrick se lève et vient doucement à l’avant-scène nous mimer un oiseau qui s’envole, lentement, bras écartés, dans un mouvement qui tient à la fois du rêve et du cauchemar : « Ce soir, je vais partir visiter les nuages… l’ivresse est un pays où faut pas rigoler… non, c’est pas pour ce soir, j’essaye encore demain, après, j’arrête de boire ». Il a sûrement « essayé », le lendemain…
« Il faut réinventer le Bon Dieu, c’est urgent ! Bientôt les innocents se tueront dans la rue ! ». Ce souci constant des autres, tout en s’usant lui-même, appartient à ces itinéraires complexes, qui prônent à la fois le rejet de tout et l’envie que tout se passe bien… Impossible gageure, qui ne l’a pas empêché d’écrire de bien jolies sentences ou poèmes courts, lesquels nous ayant portés pendant moins d’une heure, nous incitent à en demander d’autres ! « L’ivresse n’est jamais qu’un bonheur de rencontre »… « Combien de papyrus enroulés dans ma tête, ne verront pas le jour ? ».
Lucide, malgré tout, Bernard Dimey, lorsqu’il sent bien que sa fin approche… « C’est si navrant de s’en aller, avant d’avoir fini sa tâche… ». Navrant, en effet… Pourquoi êtes-vous parti si tôt ? Nous aurions tant besoin, aujourd’hui, de votre musique des mots !
Véronique Blin
Comments